Nostalgia


Déesse regarde à travers la fenêtre, assise, impassible. A coté d'elle se tient Aurorya, qui la regarde.

- Je t'attends dehors, Can.

Elle s'apprète à sortir de la pièce, puis se retourne, la reconsidérant d'un air triste.

- Can...

Déesse se remémore, inlassablement. Des souvernirs. Toute une vie passée avec "elle"...

Un souvenir : une femme marche en équilibre sur le bord d'une falaise, jouant dangereusement avec le vent, riant à gorge déployée. Déesse la rejoint, et la regarde d'un air un peu inquiet.

"- Attention, Tu risques de chuter.

Ne faisant pas attention à son avertissement, la femme continue son parcours.

- N'est ce pas merveilleux? Regarde ce ciel bleu, cet horizon si pur!

Elle se met à glousser de nouveau, comme une petite fille qui serait venue découvrir la côte pour la première fois. Son regard enchanté fait le tour de la vue, puis se pose sur celle qui l'accompagne.

- Tu viens, Can?

Elle lui temps la main. Cette dernière avance timidement la sienne. Déesse est alors entraînée par la fille enjouée, et toutes deux marchent vers le bout de la falaise. Petit à petit, leur cadence ralentit, leurs pas se font de plus en plus posés, presque hésitants. Et finalement, après un courte marche qui paraissait pourtant leur durer une éternité, elles arrivent à leur destination.
Le visage de la jeune femme a changé. Elle regarde la mer sans rire ni éclat de joie, juste une impression de sérénité. Derrière elle, Déesse reste impassible.

Aprés un long silence, elle se met à parler.

- Je ne suis pas invulnérable, ni immortelle. Je ne suis pas comme toi, Can. Tôt ou tard, il faudra que je partes, et tu ne pourras pas me suivre.

- Je pourrais...commença à murmurer Déesse.

- Oui, je le sais, l'interrompit la femme, mais je ne le souhaite pas. Je suis ce que je suis, je ne veux pas changer. Sinon je serais triste, et tu ne veux pas que je sois triste, n'est ce pas? fit elle en lui souriant.

Déesse ne répondit pas.

- Je ne veux pas que tu te fasses de la peine lorsque je partirais. Ce ne serait pas mieux si tu me déteste, comme ça tu ne penserais plus à moi?"

Retour à la réalité. Déesse appuie sa tête sur le rebord de la fenêtre, son visage caché par ses longs cheveux blancs.

"- Je ne peux pas t'empêcher de partir. Tu ne peux pas m'empêcher de partir non plus. Tôt ou tard, nous devrons nous séparer. Mais avant cela, je veux vivre le plus possible avec toi, le plus longtemps possible et le plus fort possible..."

Un autre souvenir survient. La femme est effondrée au sol, nageant dans un bain de sang. A ses cotés, une Déesse impuissante qui ne peux que contenir ses larmes devant la scène. Elle la soutient, tente d'empêcher vainement la vie de s'échapper du corps devenu aussi pâle qu'elle.

- Je suis contente...d'avoir pu réchauffer un coeur de glace.

Fut les dernières paroles de la dernière des chevalières.

Retour à la réalité. Le regard vide vers l'océan, Une larme discrète coule d'un visage immaculé sur des lèvres fébriles.

- Alys...


Auréole regarde le ciel étoilé du sommet de la tour, son regard immergé par le voile de la nuit. Ses cheveux bouclés virevoltent autour d'elle comme des papillons. Elle reste immobile, accoudée au balcon, comme attirée par le silence obscur d'un lointain appel.

- Aurée?

Le magicien dans sa tenue de nuit apparait derrière elle. Ne recevant pas de réponse, il se met lui aussi à observer le ciel.
Il se passe alors un long moment avant qu'il ne continue.

- Je connais cet air. Le même air, il y a si longtemps...

- Je dois partir, fit soudainement Harpie, les yeux toujours fixés sur l'horizon. Je ne sais pas si je reviendrais. Je ne sais pas si tu seras encore là lorsque je reviendrais.

Son regard maintenant le fixait, intense, sans aucune tristesse ni joie. Seul maintenant l'instinct la guidait. L'instinct de la Harpie.

Le magicien sourit.

- Je ne t'ai pas retenue lorsque tu est partie la dernière fois. Je ne te retiendrais pas non plus cette fois là, même si c'est la dernière. Bien sûr que j'ai de la peine, mais tu es une Harpie. Je ne peux pas retenir l'instinct d'une Harpie aussi humaine qu'elle soit devenue.

C'est alors qu'une Simélia assoupie apparut, habillée en tenue de chambre et voletant à l'aide de ses ailes naissantes.

- Maman? Tu ne viens pas dormir?

Harpie s'accroupit devant sa petite fille, essayant tant bien que mal de prendre un visage souriant.

- Non ma chérie. Maman va bientôt partir pour un grand voyage. Peut être le voyage de sa vie.

- Ah? Ben bon voyage alors, moi j'ai trop sommeil, je vais me coucher.

Elle disparut alors dans les profondeurs de la tour, emetant par moments de bruyants baillements .

- Elle m'oubliera, murmura Harpie, observant son enfant repartir dans sa chambre.

- Et toi? Nous oublieras-tu?

- J'essaierais, me je ne suis pas sûre d'y arriver.

- N'est ce pas mieux ainsi?

- Je te détestes.

- Et je te l'ai bien rendu, admit le magicien en riant. Un dernier...baiser?

- Ferme les yeux, magicien de pacotille.

Le magicien s'exécuta. Il sentit ses lèvres éffleurer ceux de son aimée. Les souvenirs de sa première rencontre, de son premier départ, et de son retour lui revinrent. Cette sensation semblait durer une éternité, et pourtant cela lui semblait être si court. Il sentit une larme couler d'un visage fébrile, puis tomber dans un silence assourdissant. Comme un signal, le baiser s'interrompit, les lèvres se séparèrent, unis et séparés à jamais par un vide inextricable.

Lorsqu'il ouvrit les yeux, il était seul. Seule une plume noir taintée de blanc reposait à ses pieds.


Un vieil homme parcourt tranquillement un sentier, son pas s'accordant à la balade qu'il fredonne. Son sac semble chargé, mais cela ne semble pas le gêner. Quelque soit la pente ou les galets acérés qui parsème son chemin, son rythme reste toujours régulier. un vieux foulard couleur bordeau flotte derrière son cou émacié, tel un flambeau qui montrerait le chemin à ceux qui le suivrait.
Mais il est seul.
Seul à marcher d'un pas sûr, grimpant encore et toujours, le regard fatigué mais droit, pointant vers un quelconque sommet, une destination inconnue.
Un objet bâti apparaît alors à l'horizon, alors que l'après midi touche à sa fin. C'est un petit abri assemblé en bois, qui semble ancré au sol depuis de nombreuses années, au vue de la végétation bourgeonnante à ses pieds. Faisant à peine trois pas de longueur sur ses cotés, il abrite de sa petite charpente un petit banc, qui lui fait face au seul coté ouvert, offrant une vue vers le paysage lointain.
Le cadre bucolique de cet édifice semble attirer le vieil homme, qui, malgré une première réticence, finit par s'y installer. Il s'assoit, dépose son sac à coté de lui avant de poser son regard vers le paysage, considérant tout le chemin déja parcourus. Et quel chemin...
Il ferme les yeux, respirant à plein poumon l'air frais de la montagne, profitant de ce court répit...
"Il reste encore beaucoup de chemin à faire", pouvait-on lire sur son visage ridé, se tournant vers la montagne, aura-t-il encore le courage de se relever?
Un petit vent souffla alors dans sa direction, transportant avec lui une senteur agréable, proventant sans doute des plantes voisines, et balaya ainsi ses doutes.
"Non, je n'ai pas à m'en faire. Si ce que je peux voir ici n'est qu'une partie infime de ce qui m'attend là haut, je peux faire encore un petit effort...mais avant, je vais faire un petit somme tout de même."
Et le vieil homme s'endormit, la tête sur son sac, couché sur le banc, devant un soleil déclinant.
Le temps s'écoule, les saisons passent, et l'abri est toujours là, avec son nouvel habitant, bercé par un petit vent.


Adorya se reveille en sursaut. Il a fait un bien etrange rêve hier soir, mais comme d'habitude, tout reste flou et il n'en reste qu'une impression de tristesse...
Le roulis d'une vague l'interrompt dans ses pensées en le bousculant de son lit. Quelle heure était-il donc? Est-ce que ce n'était pas par hasard la tempête qui avait été annoncée?
S'habillant aussi vite qu'il pouvait, tout en scrutant d'un regard inquiet à travers son hublot, il se demanda encore combien de temps allait durer ce voyage qu'il n'avait pas du tout planifié : il s'était retrouvé à bord d'un navire après qu'on lui ait assigné à toute vitesse un nouvel ordre de mission se déroulant à quelques continents de là. Le rouquin se demanda si ce n'était pas une nouvelle manière de se débarrasser de lui, lui qui semblait avoir eu de la chance à terminer ses dernières missions dans les temps.
Mais qu'importe! Cela avait l'avantage de lui faire visiter du pays à moindre frais! Enfin, si il reussissait à survivre à bord après ces quelques jours houleux.
Il se précipita sur le pont, de façon à évaluer rapidement la situation, mais quelle ne fut pas sa surprise en découvrant un ciel dégagé sans l'ombre d'un seul danger atmosphérique.
Il éclata de rire face à sa crédulité. Un farce de marin peut être?
Un vent un peu plus fort le désarçonna alors quelque peu, lui rappelant que le temps pouvait tout de même changer à tout moment. Il pointa alors le doigt vers le ciel moqueur pour répondre à ses taquineries : "Tu ne m'empêcheras pas d'arriver à destination, toi!". Une autre bourrasque le fit taire, et il se précipita cette fois-ci dans sa cabine.

A quelque mètres en hauteur par rapport au navire, le "soleil", le "vent" et la "houle" observaient la scène qui venait de se produire.

"Il n'a pas changé depuis tout ce temps", remarqua le soleil.

"Et pourquoi il devrait changer? Je l'aime bien comme ça, je peux l'embêter à loisir sans qu'il puisse savoir..." dit le vent au soleil.

"Peut être mais...et toi, qu'en penses tu?" fit le soleil à la houle.

La houle ne répondit pas, et continuait à observer le petit homme.

"Cela t'est égal de le voir ainsi? Qu'il soit toujours comme ça? Qu'il puisse nous oublier? T'oublier?"

"Je suis un peu triste, oui. Qu'il ne puisse pas me voir, me toucher ou me prendre dans ses bras."

La houle soupira, mais sa voix changea alors.

"Mais qu'il puisse réaliser ses rêves est pour moi la meilleure des récompenses. Si il est heureux ainsi, alors je le suis aussi."

"Bah, tu es teeeeellleement prévisible." répondit le vent d'un air cocasse. "Ne viens pas te plaindre si il t'arrive quelque chose à cause de ça."

La houle ne répondit pas à la provocation du vent, et s'addressa au soleil d'un ton anxieux.

"Je suis la dernière, n'est ce pas?"

"La dernière à ne pas avoir coupé le lien qui te relie à ce monde, oui, tu l'es."

"J'ai veillé depuis si longtemps sur lui...je ne sais pas si j'ai encore le courage..."

"A force de trop protéger ses enfants, on finit par les étouffer."

"Ce serait plutôt à Aurore que tu aurais du dire ça, Can."

"Ecoute, Aurie. Fais ce que tu penses être le plus juste, mais fais le s'il te plaît. Veiller ne te meneras à nulle part, c'est un temps que même pour toi tu gaspilles. Il reste encore tellement de choses à faire et toi, tu restes plantée là. Regarde moi et Auré. Ce fut pénible, mais nous avons décidé qu'il en était ainsi."

"Mais ce n'était pas la même..."

"Si c'est la même chose. Nous avons eu deux choix possibles. Soit rester en ce monde sans pour autant l'intégrer, car nous sommes uniques et immortelles, soit partir découvrir d'autres cieux, et peut être trouver d'autres, dans la même situation que nous, des "Envoyés"...en fait, je n'aurais jamais voulu le voir mourir devant mes yeux, alors que toi..."

"Auré..."

"Aurie, pour moi aussi, le supplice de voir l'être aimé se réincarner et tout oublier m'était aussi insupportable. C'est pour cela que moi aussi j'ai choisi.

"Can..."

"Il est temps maintenant. Il est temps pour toi, Aurorya, toi qui est passée d'un simple fantasme mineur au pilier d'une force sans comparaison ici bas, de choisir."


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